Dans mon précédent topic, il y a plus d'un an, j'écrivais :
Ces lignes étaient très synthétiques sur un aspect qui mériterait un bon développement.Pour ma part, je suis toujours autant passionné par le domaine en lui-même, mais je trouve que j'avais sous estimé l'impact de ces multiples échéances annuelles, et du côté toujours plus normé et surveillé du métier
Je ne comprends pas les évolutions récentes du métier.
Jusque dans les années 70-80, que je suis loin d'avoir connues, les choses étaient effectivement beaucoup trop portées sur la connaissance et la performance brutes sans aucun aspect CRM. Mes captains me racontent des histoires abracadabrantes où on leur posait des questions complètement inutiles (comme le couple de serrage d'un boulon de la porte arrière gauche), où le CDB se voyait comme la seule personne à satisfaire à bord, ou encore où on ne pouvait réussir une AEL que si on savait poser l'avion en réduisant la poussée en début de descente au FL300 sans en remettre jusqu'au roulage.
Il fallait forcément en revenir, certes.
Néanmoins j'ai l'impression qu'on va aujourd'hui dans l'extrême inverse.
Sur nos séances de simulateur et nos tests d'abord, nous avons aujourd'hui 9 compétences pilote, décrites par exemple dans le lien ci après :
https://va-airlinetraining.com/news/wha ... mpetencies
Le pilotage manuel, même si descendre un plané depuis le FL300 jusqu'à l'arrondi est stupide, et même si on ne le pratique que quelques minutes par vol, reste la base du métier. Comment surveiller un PA (ou un FD) si on ne sait pas comment ça marche ? Et bien cette compétence est diluée parmi 9 autres. Au simulateur, on en parle pour ainsi dire jamais. On parle très peu aussi de la compétence "knowledge", assez peu de la compétence automatismes, et un peu de procédures, mais l'écrasante majorité des debriefings se font sur les 5 compétences non techniques.
Dans certaines compagnies, piloter sans ATHR ou sans FD est interdit. Déjà que les opérations habituelles d'un liner ne mènent pas à développer et maintenir réellement une compétence de pilotage manuel (qui sur le forum a déjà piloté un 320 à haute altitude à la main, sans FD ? Même au simu ? Et sans l'avoir demandé spécifiquement? Jacques Rosay écrivait que la plupart des pilotes n'avaient jamais piloté leur machine là où elle passe le plus clair de son temps), ces règles mènent à une perte de compétence qui a mené des avions dans des situations absurdes et/ou dangereuses (décollage sans tirer, remise de gaz sans remettre la poussée ou sans tirer) voire catastrophiques.
Ce lien est intéressant car dans le "knowledge" habituellement dédié à toutes les connaissances, on ne parle que de la connaissance des procédures. C'est le second point : on diminue de plus en plus le pouvoir de jugement du pilote jusqu'à lui dire exactement quoi faire et à quel moment au moindre détail près. Normalement cette compétence sert à pouvoir prendre du recul sur les procédures, permettre de savoir justifier des écarts ("c'est écrit comme ça, mais c'est plus pertinent pour nos opérations du jour de modifier légèrement xx et yy..")
De nouvelles procédures airbus sont en ce moment en cours de déploiement dans le monde entier. Celles-ci précisent pour chaque item de checklist l'endroit exact où il faut vérifier la chose. Des petites erreurs dans la doc ont mené à se poser des questions existentielles. Faut-il faire ceci avant cela ou l'inverse ? Une erreur conduisant à mettre l'avion dans le noir a été débattue : peut-être faut-il réellement mettre l'avion dans le noir...
Aujourd'hui, l'accent est mis énormément sur des aspects non techniques, ou de respect de points de détails des procédures. A-t-on dit "rudder trim zero" ou "rudder trim neutral" ? A-t-on bien omis de dire "set" après "QNH 1003" ?
A-t-on respecté parfaitement la méthode de prise de décision de la compagnie pour prendre une décision évidente ? (C'est le rôle de l'instructeur et du training que de donner des décisions non évidentes à prendre, s'ils veulent faire travailler la méthode de prise de décision. Sur une panne moteur à V1-20kt on ne va pas faire un DODAR)
Les procédures estiment nécessaire de tout détailler, jusqu'à demander le réglage du volume des radios lors de la préparation du poste. Va-t-on demander à la mise à jour FCOM de juillet 2026 (dans 4 ans donc, à ce rythme) de vérifier la présence et le bon fonctionnement de tous les boutons du FMS, avec une ligne par bouton ? Est-ce que les stagiaires en qualif et line training à cette date devront apprendre l'ordre dans lequel on testera ces boutons ? Le pavé alphanumérique du MCDU, en commençant par les chiffres, puis les pages, puis les boutons latéraux, puis le bouton BRT/DIM pour terminer. Puis à la mise à jour suivante on constatera qu'un pilote dans le monde aura voulu tester ses boutons et aura planté l'avion parce que le bouton BRT n'étant marqué qu'après, il n'aura pas pensé à allumer son écran... On mettra donc le bouton BRT/DIM à vérifier en premier. En précisant bien qu'après avoir testé le DIM, il faut potentiellement remonter la luminosité. Comme vous le constatez, si on s'engage dans cette voie il n'y a pas de limite.
Un petit mot en plus à ce stade sur la surveillance : il y a des projets en cours pour tracker le regard du pilote. Comme tout outil, sa pertinence dépend de ce que l'on en fait. Mais imaginez vous passer votre temps au debriefing avec l'instructeur à vous entendre dire que la vérification du QNH en cross check se fait au PFD opposé et pas au glareshield opposé ? (Le rebord de l'écran EIS1 masque le chiffre au PFD). Que la vérification (pas la lecture) des vitesses se fait au PFD et pas au FMS ? (Quelle est la probabilité pour que la valeur se transmette mal, et pourquoi cela n'arriverait pas avec la Vr et la Flex qui ne sont pas vérifiées dans cette nouvelle méthode).
Il me semble que la plupart des gens voire la totalité adapte fréquemment ce qu'il a à faire fonction des conditions du moment. Par exemple, si je dois prévenir les PNC d'abord, et mettre le TCAS sur TARA ensuite, mais que le contrôleur me parle, m'empêchant de parler aux PNC, je préfère mettre TARA en premier pour ne pas perdre de temps... Et bien non, ce n'est pas marqué comme ça !
On m'a raconté qu'il y a quelques années, les stagiaires qui fonctionnaient avec une telle rigidité n'arrivaient pas à franchir l'étape du line training. Mais de nos jours, c'est comme ça qu'il faudrait faire ?
Je pourrais continuer mais je pense que ces exemples suffisent pour décrire mon ressenti général.
Heureusement, on dirait que certaines compagnies commencent à revenir doucement de certains de ces travers, avec certaines compagnies qui maintenant encouragent à couper les FD, à faire des approches à vue (avec toutes les précautions nécessaires quand même, à l'écrit c'est important).. mais sur la normalisation et la surveillance du métier je ne vois pas encore de retour en arrière.
Avez-vous constaté la même chose dans vos compagnies respectives ?
Est-ce que vous en parlez autour de vous et est-ce que c'est une évolution que vous déplorez ou que vous trouvez au contraire nécessaire voire souhaitable ? (On a le droit de pas être d'accord avec tout ça, j'ai conscience d'émettre une opinion subjective, que je force d'ailleurs peut-être un petit peu pour lancer la conversation)
De mon côté, j'ai l'impression que la plupart des captains trouvent qu'on perd peu à peu le bon sens. Malheureusement je ne parle pas beaucoup aux copis plus jeunes comme moi. Mais ces commandants là sont de la génération actuellement aux manettes (45-55 ans) donc je ne comprends pas trop comment on en arrive à faire ce qu'on fait actuellement. Est-ce que cela provient d'airbus ou bien des département training des compagnies, de l'EASA et de la FAA.. ?