Au lieu d'écrire un message sur ce forum, je me dis que je ferai mieux de mettre mon carnet de vol à jour. Avec plus de 80h par mois, 35 destinations, des arrivées IFR presque à chaque vol, et plus de vols de nuit que de jour, mon carnet de vol est devenu un vrai casse-tête.
Mais avec mon ordinateur portable ibook ouvert devant moi, sur le bureau, à l'hôtel, je ne peux pas m'empêcher d'écrire.
Le VOR "JFK" avait doucement apparu sur mon Multi-function Flight Display hier soir. La nuit était noire, mais le ciel était clair sur la Côte Est, à FL 290. Nos visages étaient faiblement éclairés par les écrans devant nous, et je regardais en bas sur ma gauche pour voir l'île de Manhattan, et à sa gauche New Jersey, à sa droite Long Island. Je ne pouvais voir ni Kennedy, ni Laguardia, ni Newark, mais ces aéroports apparaissaient clairement dans mes pensées. Par contre, à 29000 pieds plus bas, le contour illuminé des grattes-ciels étaient nettes. Je gardai le spectacle pour moi, car je ne voulais pas interrompre mon copi.
Les nouvelles annoncées par la compagnie il y a juste 3 jours étaient terribles. Plus de 500 pilotes allaient être licencier dans les prochains mois. Pratiquement tous les copis, et certains commandants de bord vont être déplacer vers la place droite, avec réduction de salaire. Je vole donc avec des gars qui vont perdre leur boulot. Le pire c'est qu'ils perdent leur boulot dans une économie patineuse et dans une industrie meurtrie. Dans la nuit je les écoute quand ils me parlent. Et je ne veux surtout pas décrire la vue imprenable que j'ai de la ville de New York.
A cause de ces licenciements, je ne sais pas ce que va devenir ma formation Airbus. J'ai appelé "training scheduling" hier après avoir appris que certaines classes ont été annulées. Ils auraient dû me rappeler mais l'ont toujours pas fait. Je me demande lorsque je partirai en formation, le 17? Le 24? Le 31? Jamais? Quant à mon copi, un père de deux enfants, lui se demande ce qu'il va faire dans quelques mois pour gagner sa vie. Alors je reste silencieux.
Bien sûr les licenciements peuvent s'empirer avant que la compagnie ne ferme ses porte. D'ailleurs, historiquement, aucune compagnie n'a survécu après avoir licencier plus de 30% de ses pilotes. Dans ce cas-la tout le monde sera au chômage, et je regretterai sûrement d'avoir écrit ce message au lieu d'avoir mis mon carnet de vol à jour.
Oh, well. Je maintiens que c'est le plus beau métier du monde. Mais c'est une carrière difficile, et la beauté de ce métier est souvent gâché par ses insécurités. Je n'essaie donc pas de penser à mon future. Je passe mes journées à rassurer ceux qui volent avec moi. Je suis le Commandant de Bord, et ils m'écoutent. Je dois rester calme, bien que mes insécurités me rongent. Je ne dois jamais le montrer, et mon équipage ne peut jamais savoir que j'ai des doutes. Je n'ai jamais été aussi inquiet, mais je n'ai pas le droit de démoraliser ceux qui sont avec moi. Je suis le Captain. J'ai cette apparence presque arrogante de celui qui a toutes les réponses. Mais à l'intérieur je panique.
Dimanche soir, quand je préparais mes affaires avant de partir en rotation, Gina m'a demandé si je pensais que la compagnie allait faire faillite. Comme elle ne travaille pas, et qu'elle doit rester à la maison avec nos deux enfants, elle comprend que notre vie de famille, notre maison, nos repas chaque jour, dépendent de moi. Je suis le commandant de bord de notre famille, et c'est une pression que je n'arrive plus à ignorer.
Je me suis rapproché d'elle, et avec mes mains touchant ses bras, je lui ai dit de ne pas s'inquiéter. Je lui ai dit que la compagnie allait s'en sortir. Et j'ai sourit. Elle a sourit aussi. Puis, discrètement, j'ai pris mon carnet de vol du tiroir de mon chevet de nuit, et je l'ai mis dans ma sacoche.
PILOTE.US
PS: Je serai à Greenville, en Caroline du Sud, ce soir tard. Jusqu'à 15h locale demain, Mercredi. Appelez-moi.
Hyatt Regency Hotel: 864-235-1234
<font size=-1>[ Ce message a été édité par: PILOTEUS le 2005-01-11 18:48 ]</font>