Le vol longitudinal sous toutes les coutures : l'arrondi

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Dubble
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Le vol longitudinal sous toutes les coutures : l'arrondi

Message par Dubble »

Bonsoir,

Voici un petit laïus sur la technique de l'arrondi.
Résumé :
La hauteur du début d'arrondi évolue comme le carré de la vitesse verticale.
Une bonne évaluation des paramètres impactant cette vitesse verticale permet de faire débuter son arrondi au bon moment. Vitesse longitudinale, pente d'approche, vent, pente de la piste ou bosse.
Cette méthode montre des résultats cohérents avec tout ce que l'on voit et sait par ailleurs.

L'arrondi est vu comme une trajectoire à 0.08g, qui est la valeur de référence, déduite de mon expérience, ce qui correspond à un peu moins d'un degré par seconde
Récemment le BEA a sorti un rapport concernant un atterrissage dur.
https://bea.aero/les-enquetes/evenement ... ntique-44/

Pour moi, des éléments essentiels manquent à ce rapport, le BEA n'étant effectivement pas censé faire un cours de pilotage, mais vu qu'il semble vouloir le faire au moins de manière partielle (en suggérant ce que devrait contenir un briefing), il me semble donc important de terminer le travail non effectué.
Ce post s'adresse à tous les pilotes confirmés ou élèves, et vise à théoriser, et donc faire mieux comprendre la théorie de l'arrondi, avant de voir de quelle manière cette théorie peut se transposer de manière pratique au vol.
L'objectif pour moi est de conclure à un résultat simple à partir d'un développement compliqué.

Tout d'abord, on pourrait parler de la géométrie à l'atterrissage. Tout ce discours repose sur une finale stabilisée, vers un point d'aboutissement savamment choisi. La pente n'a pas à être toujours égale à 3 degrés, de même que la piste n'a pas à être plate.
Le pilote contrôle la trajectoire de son œil, le train d'atterrissage est en situé derrière et plus bas, cela étant surtout sensible sur un gros avion, il faut noter que le point d'aboutissement des roues n'est pas celui de l'oeil, pour certains avions il peut se retrouver quasiment 200 m en amont sur la piste, c'est-à-dire le train passer près de 10 m en dessous, sur un plan standard. Ce point particulier n'est pas l'objet du post mais est évidemment à prendre en compte pour viser la précision du toucher.


En quoi consiste l'arrondi ? Il s'agit de passer de trajectoire descendante, généralement moins 3 degrés, à une trajectoire horizontale, ou en tout cas une trajectoire moins descendante. Il s'agit donc d'une variation de pente. Une variation de pente se traduit également par une variation de vitesse verticale, c'est-à-dire in fine par une accélération.

Il faut ici faire le lien entre le virage et l'arrondi. Contrairement à certaines présentations qui modélisent un arrondi par deux pentes, un avion réel ne peut pas subir une accélération infinie sur un instant infiniment court. Au contraire les choses peuvent prendre du temps. Voyons pourquoi.

On va détailler les choses en deux phases. D'abord on met en marche le mouvement d'arrondi (augmentation d'assiette). Ensuite, les ailes bossent pour nous et amortissent la trajectoire.

Pour vraiment le comprendre, il faudrait idéalement faire un simulateur de vol low cost, c'est-à-dire rentrer les paramètres du vol longitudinal dans un tableau, et voir comment les paramètres de la ligne suivante se calculent à partir de ceux de la ligne précédente.
Il faut alors reprendre les équations.
Tout commence par l'équation du moment de tangage, le couple cabreur augmente l'assiette. My = Iyy*θ''
L'équation de la portance donne le facteur de charge fonction de l'incidence. Le facteur de charge modifie ensuite la vitesse verticale, ce qui modifie la pente, et en soustrayant la pente à l'assiette, on retrouve l'incidence du moment suivant, ce qui donne la portance, etc..

Maintenant, on peut rentrer dans les détails de l'équation, pour compter le nombre d'intégration qu'il faut opérer pour obtenir une variation de pente.
Imaginons que la gouverne de profondeur parte en rampe. La dérivée seconde de theta est une rampe, donc la dérivée première q est d'ordre 2, et l'assiette θ d'ordre 3. α l'incidence est donc d'ordre 3 aussi (première partie de l'arrondi)
Ensuite, on a n*m*g=1/2 ρ S V² Cz = 1/2 ρ S V² Czα*α (on oublie Cz0 pour la cause), et n*m*g=m*z'', autrement dit z' la vitesse verticale est d'ordre 4 et z la hauteur est d'ordre 5 (deuxième partie de l'arrondi)
Autrement dit quand on cabre un avion, les équations doivent boucler 5 fois avant d'obtenir une variation de pente.
Sur un avion à commande de vol électrique, c'est encore pire, il faut rajouter une ou deux étapes supplémentaires. Cette étape peut paraître négligeable, en réalité elle peut prendre 0,25 secondes, c'est-à-dire quand on descend à 12 pieds par seconde, déjà trois pieds.

Supposons maintenant que le pilote opère un arrondi par une cadence d'assiette. Il applique, pour fixer les idées disons la même cadence que celle du décollage, ou un peu moins, disons 2 degrés par seconde. En régime stabilisé, c'est-à-dire un facteur de charge stabilisé, ce comportement correspond à une augmentation de 2 degrés de la pente par seconde, puisque l'incidence est supposé constante.
Avec ce paragraphe nous avons fait le lien entre une cadence d'assiette et un facteur de charge constant, évidemment sous certaines hypothèses qui sont vérifiées ici, comme une vitesse constante, garantie par la courte durée de cette opération.

On peut donc revenir au lien avec le virage. Pour un virage on peut calculer un rayon sous la formule V²/gtan(φ), ou encore un équivalent que l'on peut calculer de tête.
L'idée étant de retenir qu'un rayon de virage est équivalent à une vitesse au carré divisé par une accélération.
La suite peut se voir avec les mains, opérer un arrondi qui vous transférera d'une trajectoire rectiligne à une autre, c'est rejoindre un cercle correspondant à ce rayon V²/a, à un endroit donné. Plus vous arrivez sur une trajectoire pentue plus vous arrivez haut sur le cercle.
Si vous imaginez ce cercle comme un cerceau géant posé sur la piste, vous interceptez le cercle à une altitude, ou plutôt une hauteur, égale à (1-cos(pente)).
Vous tombez donc sur une pente au carré, car cos(x) = 1 - x²/2

Vous pouvez également utiliser la même technique que celle qui sert à calculer la correspondance entre vitesse et hauteur à l'occasion d'une chute libre, ce sont les mêmes équations, mais avec une accélération différente. R=V²/2a (normalement je n'ai pas besoin de vérifier).

Avec tout cela nous pouvons en venir au fait.
Un arrondi se passe, en schématisant, en deux phases une phase qui sert à installer l'avion dans son arrondi, ne serait-ce que le temps de réaction des gouvernes, la phase de croissance du facteur de charge, qui passe de 1 à une valeur cible qu'on aura tendance à garder constante.
Et ensuite une phase où ce facteur de charge bien établi, peut se maintenir grâce à une cadence d'assiette.
Pendant la première phase, l'avion descend presque aussi vite qu'il ne le faisait pendant l'approche finale. Pendant la seconde phase sa trajectoire est circulaire.

Libre à chacun ensuite, évidemment, de viser un kiss landing en mangeant toute la piste si elle fait 3 km, ou alors de viser une pente finale de -1° afin de toucher de manière franche et plus précise, ou encore de tenter le tout pour le tout en tirant pile à la bonne hauteur afin de faire un kiss sur le point voulu. On rentre ici dans la technique de pilotage pure, l'appréciation visuelle de la hauteur, et un petit peu aussi du risque.
Il y a un compromis entre un atterrissage court, un touché doux, et une technique facile.
L'atterrissage "parfait", c'est de réaliser un arrondi assez fort, ce qui réduit donc la longueur en réduisant le rayon de virage du cercle, et à une hauteur telle que le cercle tangentera la piste exactement. C'est évidemment beaucoup plus difficile que de prendre des marges.

Néanmoins, dans toute cette technique d'atterrissage, partir du mauvais pied garantit l'échec. Arrondir trop bas, c'est la quasi certitude de taper la planète, voire d'autres problèmes.
Arrondir trop haut n'est pas beaucoup mieux, flotter au-dessus de la piste mène à la consommer inutilement, et en cas de mauvais contrôle de la vitesse mènera à un toucher dur, chose que vous saviez déjà, mais pertinente à rappeler dans le contexte.

Nous arrivons donc maintenant précisément sur l'objet de ma présentation, il faut avoir une idée approximative au moins de la hauteur à laquelle l'arrondi devra débuter, ainsi que du reste de la technique dudit arrondi, par exemple si c'est un atterrissage de montagne, pour passer d'une pente de moins 3 degrés à +10 degrés, tout en restant dans les hypothèses utilisées ici peut nécessiter de conserver voire augmenter la puissance, voire encore peut amener à envisager d'utiliser moins de traînées que pour un atterrissage normal.

Pour calculer cette hauteur, je préconise de ne pas se compliquer la vie, mais de considérer le paramètre essentiel qui est la vitesse verticale en courte finale, et plus exactement la différence de vitesse verticale entre celle qu'on avait et celle qu'on veut obtenir, et c'est ici qu'on voit le rapport avec cet accident de Nantes, la bosse est à prendre en compte.
En partant d'une situation de référence standard, et en utilisant le carré du ratio des vitesses verticales entre la situation du jour et la situation de référence, on peut trouver la nouvelle hauteur de référence à laquelle on va pouvoir arrondir.

Comme l'arrondi se déroule en deux phases, la première phase étant indépendante de ce ratio, il faut en réalité identifier quelle est la partie qui ne variera pas avec le carré de ce ratio.
Voyons tout ça sur un exemple. Prenons le cas de l'A320, il approche à 120kt (319 léger pour la situation de référence, 620fpm). On peut se baser sur le radio altimètre pour évaluer sa hauteur, c'est le plus simple. On va tenir compte du retard du radio altimètre, du temps de réaction du pilote à ce radioalti, le temps de réaction des gouvernes, et du temps de réaction de l'avion aux gouvernes. On peut compter un quart de seconde pour le temps de réaction du pilote entre le signal audio et le signal musculaire sur le manche, on peut compter un autre quart pour le retard du radioalti. Ensuite si on tire à 2 degrés par seconde, et qu'on veut 2 degrés d'incidence en plus, on peut partir du temps où la moitié de la cible est atteinte, soit environ une demi seconde. Je me suis certainement trompé dans un sens et dans l'autre sur ces éléments, mais si on retient au global une seconde, et donc environ 10 pieds, cela marche assez bien.
Ensuite, on va retenir 20 pieds pour un arrondi soft.

Notons que, quand on réalise l'application numérique, 620fpm et 20ft correspondent à 0.08g d'arrondi, ce qui est un chiffre très cohérent avec ce que j'ai vu dans mon expérience dans l'analyse de données, et qui correspond aussi à un virage de 22° d'inclinaison.
Reste à calculer la cadence de tangage correspondant à ce facteur de charge. Magie des chiffres, cela fait un peu moins de 1°/s, 0.8 aussi.
C'est bien ce que je constate en regardant certaines données de vol, ça n'en fait pas une étude statistique big data mais c'est cohérent aussi.

Cela donne un arrondi à 30 pieds, je ne vais pas dire que je l'ai inventé, mais disons qu'il se décompose comme cela, 20+10. Passons maintenant sur un 321, qui au lieu d'arriver à 120 comme un 319 léger, arrive à 140-145. Faites le ratio des carrés des vitesses de descente, multipliez le par 20, vous trouverez un supplément de 7 à 10 pieds. Et effectivement arrondir un 321 à 40 pieds au lieu de 30 est plutôt une bonne idée.

Passons maintenant sur un 777 qui arrive à 150-155 kt, le ratio des carrés plus les 10 pieds de temps de réaction, on vous donnera 43 pieds, surprise c'est aussi une hauteur qui est très pertinente pour arrondir un triple 7. En pratique on utilise des chiffres ronds, 40 au lieu de 43 fonctionnera parfaitement, 50 peut fonctionner à condition d'y aller lentement, par contre 30 c'est risquer un poser dur car cela nécessite une forte cadence d'assiette.

Prenons maintenant le cas de la bosse de Nantes. Une bosse de 0,8 degré, cela revient à faire une approche sur un plan à 3,8 degrés, et vous pouvez là aussi faire le ratio des carrés. Il faut maintenant ajouter 12 pieds à sa hauteur d'arrondi (sur une base de 20)
Prenez un A321 qui arrive sur un plan à 4 degrés (à Marseille) le calcul vous donne maintenant un arrondi à 60 pieds.

Vous avez donc une technique qui vous donne un chiffre qui vous servira à partir du bon pied, ensuite, vous pourrez en faire ce que vous voudrez. Une fois que le taux de descente de l'avion est divisé par deux, vous avez maintenant deux fois plus de temps pour évaluer devant vous la vitesse de rapprochement de la planète, ce qui vous permet d'ajuster votre arrondi sur l'autre paramètre, l'accélération.
Personnellement, je trouve plutôt pertinent d'ajuster la hauteur d'arrondi, en choisissant directement une valeur pertinente, tout en me laissant la possibilité d'augmenter le facteur de charge si nécessaire, plutôt que partir sur l'idée d'utiliser le facteur de charge, à hauteur inchangée.
Cette deuxième idée présente des inconvénients majeurs, déjà c'est plus dur à faire car la cadence d'assiette est plus grande, le temps de l'arrondi est plus petit, tout va trop vite. Ensuite toucher la piste avec un facteur de charge plus important, augmente le risque de rebond, ou tout simplement de remonter sans avoir touché la piste, et qui dit un facteur de charge plus important dit assiette plus importante, et donc marge au tail strike plus faible.
De plus, une plus grande incidence augmentera la traînée avec le carré de celle-ci. On viendra donc dégrader l'énergie de l'avion, ce qui peut in fine rendre impossible l'obtention du facteur de charge voulu.
Précisons ici que dans l'équation h = V²/(2*a), je préconise de garder a constant et d'augmenter h comme le carré de V, mais si vous souhaitez garder h constant, il faudra augmenter a comme le carré de V aussi. Quand on approche à 1,3 de Vs, on ne peut déjà pas avoir plus que 1,6 G, et donc déjà on pourra jamais épauler des variations de V de plus de 30 %

Pour terminer, on va voir que cette méthode, en plus de vous permettre de maîtriser beaucoup plus facilement l'atterrissage sur des pistes montantes, ou sur des plans fort, est cohérente avec d'autres indications qui sont présentes dans nos manuels.
Le premier, c'est Airbus qui dit "do not duck under". Le second c'est le critère de stabilisation du taux de descente de moins de 1000 pieds/minute.
Quand Airbus dit "do not duck under", cela veut dire de ne pas augmenter indûment la vitesse de descente proche du sol.
Si vous arrivez à 1000fpm au lieu de 620, autrement dit à la limite du critère de stabilisation, le carré du ratio sera de 2.6. Ce qui signifie un arrondi à 60 pieds pour un A320. c'est très inhabituel. Un arrondi débuté à la hauteur normale finira probablement en atterrissage dur et/ou en alarme "pitch pitch"
Si vous arrivez à 1400 fpm le ratio des carrés sera de 5, soit un arrondi à 120 pieds maintenant. Ceci vous donne la technique d'atterrissage sans moteur d'un avion de ligne... L'arrondi sera obligatoirement très très haut. Cela explique aussi pourquoi une remise de gaz s'impose si cette situation se présente à basse hauteur...
Si maintenant vous voulez vous amuser dans flight simulator à faire un arrondi sans moteur, avec le train les volets et les spoilers, avec un taux de descente de 2500 pieds par minute, le calcul vous donne 300 pieds pour la hauteur d'arrondi, ce qui est plutôt cohérent avec ce que j'avais pu trouver (200ft et avec manche plein arrière donc a plus grand :xlol: )

On peut aussi reboucler avec les avions légers. Le calcul pour 65kt donne 6 pieds soit 1m80, + une partie fixe. Si on prend une demi seconde de temps de réaction de l'avion et 0.2 pour le temps de réaction du pilote (temps de reculer le manche..) , on tombe sur 10 pieds, qui est le chiffre sur lequel je tombe quand je tape "hauteur arrondi ppl" :
https://ppl-avion.fr/wp-content/uploads ... rrondi.png
https://www.boldmethod.com/learn-to-fly ... very-time/
Modifié en dernier par Dubble le 28 déc. 2024, 21:53, modifié 2 fois.
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zenz10
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Re: Le vol longitudinal sous toutes les coutures : l'arrondi

Message par zenz10 »

Merci Dubble pour ce "thread" très théorique et intéressant.

T'es vraiment bien câblé.

Je me demande ce qui te pousse à rester dans un cockpit, ça semble être aux antipodes de la stimulation intellectuelle à laquelle tu pourrais prétendre.
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Dubble
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Re: Le vol longitudinal sous toutes les coutures : l'arrondi

Message par Dubble »

Merci pour ton compliment !

A me relire, il faudrait peut-être que je fasse un résumé du post, c'est un peu long :xlol:
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